Comment passer d'un BMT à un BMD pour identifier son BMD² ?

 Pour l’Entrepreneuriat : quel Business Model Digital ?

 Introduction

Selon, Besson, Gossart et Jullien (2017) l’expression « digital transformation » (DT) est apparue pour la première fois en 2000 « Cette transformation est décrite comme une combinaison de trois phénomènes : l’automatisation, la dématérialisation et la réorganisation des schémas d’intermédiation cette transformation touche tous les processus d'affaires, du business model aux relations avec les parties prenantes » (p. 1). Le concept de Transformation Digitale (digitalization) est souvent confondu avec le terme numérisation (digitization) (Godé, Bidan, 2020). La numérisation fait référence à un processus technique, c'est-à-dire l'utilisation des technologies numériques dans la vie quotidienne (Dudézert, 2015, 2017, 2018) tandis que le terme digitalisation est lui, caractérisé par la reformulation du Business Model Traditionnel dans une perspective d’intégration des processus socio-technologiques, d’artefacts numériques (Brem, Bican, 2020).

A partir d’une étude qualitative centrée sur une entreprise de nettoyage, cet article souhaite mettre en évidence comment, le concept de «Transformation Digitale » (TD) conduit l’entrepreneur à abandonner un modèle d’affaires traditionnel (BMT) pour construire un Business Model Digital (BMD).

Cadre conceptuel

Initialement, la notion de « Business Model » est apparue dans la littérature scientifique pour décrire le fonctionnement des organisations de l’économie internet puis s’est étendue, à partir de la fin des années 1990, aux autres domaines d’activités.

Les Business Models

Dans le cadre conceptuel d’étude de la Transformation Digitale (TD), les contributions scientifiques se rapportant aux Business Models peuvent être classées en deux catégories : les Business Models Traditionnels (BMT) clairement identifiés par Osterwalder et al., (2005) ; et les Business Model Digitaux (BMD) caractérisés par Weill et Woerner (2013).

Selon King (2013), les BMT, dont le Business Model Canvas, ne mettent pas suffisamment en évidence les aléas provenant des environnements incertains ou fortement changeants. Ils prennent difficilement en compte des Business Models construit autour de plateformes digitales (BMD). Dans l’objectif d’une Transformation Digitale, un Business Model de type plateforme (BMD) doit pouvoir contribuer à clarifier les différentes interactions du modèle d’affaires et du système d’information (SI). Weill et Woerner (2013) présentent trois composantes qui, pour eux, sont au centre de la proposition de valeur d’une entreprise traditionnelle qui souhaite se digitaliser : une plate-forme numérique, du contenu et le retour d’expérience utilisateurs.

Le BMD est donc en perpétuel ajustement entre son modèle initial, imaginé par l’entrepreneur et les remontées utilisateurs qui proposent des améliorations, ou qui par leurs utilisations détournent l’artefact initialement créé. Les demandes des utilisateurs de ces artefacts numériques contribuent à faire évoluer le BMD vers un nouveau modèle d’affaires numérique que nous nommons BMD², pour Business Model Digital Dynamique (BMD²) (figure 1).

Aujourd’hui le champ de recherche du Business Model rejoint celui de l’entrepreneuriat ( Verstraete, Saporta, 2006 ; 2015). Le modèle d’affaires permet d’expliquer comment les activités variées de l’organisation s’articulent pour donner vie au projet entrepreneurial, que celui-ci soit Traditionnel ou Digital.

L’entrepreneur

Dans une logique de Transformation Digitale, Hernandez (2005) évoque un modèle d’entreprise où le modèle entrepreneurial domine. Dans cet écosystème naissant, les opportunités d’affaires sont nombreuses, ceci est dû en partie au surcroît d’informations mis à la disposition de chacun. L’entrepreneur crée de la valeur en transformant les marchés existants. La relation entre entrepreneur et performance ( Ronstadt, 1984) est fondée sur l’émergence d’opportunités de profit inexploitées ainsi que sur la capacité des entrepreneurs à profiter de situations de déséquilibre. En résumé, c'est leur habileté face à ces opportunités qui s'exerce et qui leur permet de les saisir. Les entrepreneurs arrivent à créer de la performance et de la valeur parce qu'ils les exploitent à travers l’élaboration de nouveaux business models (BMT ou BMD).

Pour mettre en œuvre la digitalisation, les entrepreneurs ont déployé des outils informatiques rigides, calqués sur des Business Models Traditionnels (BMT) qui se déploient dans un environnement prévisible et certain (Benghozi, 1998). Ces outils planificateurs, comme les CRM ou les ERP, ont été implémentés exclusivement pour l’informatique de gestion. La dynamique et l’intention entrepreneuriale (Warnier, Demil et Lecocq, 2010) est donc bien présente dans les éléments constituant le modèle d’affaires du Business Model Digital (BMD).

La digitalisation complexifie les interactions des modèles d’affaires traditionnel (BMT), car elle impose une nouvelle approche qui intègre une dynamique entrepreneuriale donc une proposition d’affaires devant évoluer rapidement, tant en termes de technologies que d’agilité organisationnelle.

Problématique

La Transformation Digitale est un thème d’actualité devenu central car aujourd’hui (Covid19), les entreprises ont l’obligation d’adapter leur modèle d’affaires traditionnel (BMT). Cet article met en évidence la transformation digitale du Business Model Traditionnel des entrepreneurs vers un Business Model Digital (BMD) qui est appelé à évoluer vers un Business Model Digital Dynamique (BMD²) avec comme problématique :  « Dans le cadre d’une Transformation Digitale, quel Business Model pour l’entrepreneur ? »

Résultats

Nous allons tout d’abord vous présenter notre démarche de Recherche Intervention (RI). Puis nous caractériserons les artéfacts numériques déployés dans le cadre de la Transformation Digitale pour enfin mettre en évidence la place de l’entrepreneur au sein du Business Model Digital Dynamique (BMD²).

Notre étude empirique se fonde sur une (RI) de vingt-quatre mois au sein d’Agility Propreté. Cette SARL créée il y a dix ans par Guillaume Giuntini est composée de 100 personnes. L’entrepreneur estime la rentabilité de sa société insuffisante car elle est similaire à celle d’une entreprise de 25 salariés. La clientèle est exclusivement constituée de professionnels recourant à des travaux d’hygiène et d’entretien des locaux. Compte tenu du contexte fortement concurrentiel de son activité, le dirigeant a souhaité nous entretenir de sa vision stratégique. A l’issue de cet échange, il a sollicité un accompagnement pour la mise en œuvre d’une (RI) favorisant la Transformation Digitale de son entreprise à travers la construction d’un Business Model Digital.

Le champ de cette recherche nécessite une étude qualitative qui permet de proposer une meilleure compréhension de l’objet de recherche (Birkinshaw et Gupta, 2013). La démarche de recherche nécessite de recourir à des instruments tels que des entretiens, des observations, des documents internes permettant d’appréhender les subtilités des dynamiques d’interaction des différents acteurs. Pour cela, nous avons mené 07 entretiens représentant l’ensemble des profils de postes de l’entreprise (Hymes, 1962). Les opérationnels n’ont pas été interviewés par manque de disponibilité. Les entretiens sont conduits à l’aide d’un guide faisant référence à la revue de littérature et en cohérence avec le modèle conceptuel présenté figure 1.

L’analyse des données, met en évidence la prise de conscience de l’entrepreneur, il a identifié à la fois des difficultés managériales et des ruptures dans le business model traditionnel (BMT), mais il n’arrive pas à les analyser. Dans l’entreprise Agility, la Transformation Digitale semble mettre l’humain au cœur du processus de digitalisation, le système d’information n’apparaissant que comme un support technologique (digitization). L’entrepreneur étant clairement identifié comme l’initiateur de la Transformation Digitale.

Eléments de recherche et résultats

Analyse BMT

(Business Model Traditionnel)

BMT insuffisant, il ne dégage plus suffisamment de marges. La croissance externe future a pour but d’atteindre une taille critique plus favorable dans ce marché.

Position de l’entrepreneur dans l’ancien BMT

Rupture de confiance avec l’ancien associé.

Réaction de l’entrepreneur dans le BMD

(Business Model Digital)

Adaptation de l’ancien modèle, réorganisation avant transformation digitale, croissance externe, développement d’une économie de plateforme à terme.

Conduite du changement

Changement organisationnel et opérationnel (autonomisation).

Acteur du changement

Transformation avec un cabinet extérieur.

Décision entrepreneur

Conservation de la gestion avec un accompagnement long dans la transformation.

Compétences managériales en gestion de projet technologique

NON

Compétences managériales en ressources humaines lors d’une transformation

NON

Positionnement entrepreneurial

Sur l’humain (accompagnement du changement, apprentissage, formation de son personnel).

Opportunité entrepreneuriale

Croissance externe grâce à la réorganisation et l’optimisation du SI.

(Premier rachat de concurrent effectué).

L’entrepreneur engage la Transformation Digitale en réorganisant son système d’information et en formant ses équipes managériales. A l’issue de notre recherche-intervention, la veille stratégique et commerciale conduite par le dirigeant, lui a permis d’identifier un type de modèle d’affaires digital (BMD) communément qualifié de modèle de la plateforme. La recherche-intervention doit permettre à son personnel de comprendre et d’accepter le pourquoi de la réorganisation. Les opérationnels seront accompagnés dans la conduite du changement afin de leur permettre d’adapter leurs pratiques quotidiennes. L’adaptation des routines opérationnelles permettra de déployer la dynamique stratégique entrepreneuriale.

Le modèle BMD² fonctionne par itérations successives, cycle après cycle, il est dynamique. Chaque bloc du modèle se lit dans le sens des aiguilles d’une montre. L’assemblage des différents blocs constitue un ensemble dynamique dans lequel chaque partie est activement reliée aux deux autres dans un ajustement permanent. La proposition de valeur (business model) s’ajuste en fonction de l’expérience utilisateur dans une relation réciproque. Afin d’être aligné en permanence sur la demande du client, les caractéristiques du modèle d’affaires digitalisé (BMD) (son équation de valeur, les offres proposées) continuent d’évoluer même après leur introduction sur le marché. Selon Garud, Jain et Tuertscher, (2008), « Cette innovation permanente, contraint la plateforme (digitale) a une évolution constante » (p. 785).

Figure 1 – Business Model Digital Dynamique (BMD²)


Conclusion

Les difficultés de déploiement d’un Business Model Digital Dynamique (BMD²) sont en partie expliquées par les rythmes différents vécus par la société en transformation et ceux des différents partenaires. Les partenaires historiques fonctionnent à partir d’un business model traditionnel (BMT) générateur de coûts et de latences. Ils se trouvent distancés par l’automatisation des processus et l’interopérabilité des données. Le résultat contre-intuitif que nous avons identifié dans cette (RI) est un entrepreneur situé au cœur du Business Model Digital. Les résultats de la recherche mettent en évidence que c’est l’entrepreneur qui impulsent le processus de digitalisation et non la technologie. Historiquement, le facteur entrepreneurial apparait peu dans les différents composants d’un business model. Les résultats autorisent à faire de l’entrepreneur le point central de la transformation. Les résultats permettent également d’avancer que la posture de l’entrepreneur, ses compétences managériales et sa maturité digitale lui permettent d’accompagner convenablement la transformation digitale de son entreprise ou la font échouer.

BIBLIOGRAPHIE

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Besson, Gossart, Jullien. Les enjeux de la transformation numérique dans l'entreprise du futur. Terminal. Technologie de l’information, culture & société, 120, CREIS-Terminal; L'Harmattan / CREIS; L'Harmattan / CREIS; L'Harmattan / CREIS; L'Harmattan / CREIS, 2017, 10.4000/terminal.1605hal-01548642

Dudézert A., La transformation digitale des entreprises. La Découverte, « Repères », 2018, 128 pages. ISBN : 9782348036019. URL : https://www.cairn.info/la-transformation-digitale-des-entreprises--9782348036019.htm

Garud, R., Jain, S., & Tuertscher, P. (2008). Incomplete by design and designing for incompleteness. Organization studies, 29(3), 351-371.

Godé C. Bidan M. (2020) « Cas en management des systèmes d’information » 252 pages ouvrage collectif https://management-datascience.org/articles/14643/#

King R., (2013) “Business Model Canvas : A Good Tool With Bad Instructions ? SiliconValleyRebel (Livre 1), Editeur : CreateSpace Independent Publishing Platform ; 1 édition (17 mars 2017), ISBN-10 : 1544841787, ISBN-13 : 978-1544841786 Broché : 176 pages Page d'accueil - Dr Rod King. http://businessmodelhub.com/group/business-dna-management-for-business-model-innovat?xg_source=activity ,

Osterwalder A. (2004), « The Business Model ontology – a proposition in a design science approach », PhD Dissertation, Université de Lausanne, février.

Ronstadt RC (1984) Entrepreneurship Texte, Cases and Notes. Lord Publishing, Massachusetts, UK., ISBN-13 : 9780930204112, pp : 770.

Fors, A.C. The Ontology of the Subject in Digitalization. In Handbook of Research on Technoself: Identity in a Technological Society; Information Science Reference: Hershey, PA, USA, 2013; pp. 45–63.

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Verstraete, T., & Saporta, B. (2006). Création d’entreprise et entrepreneuriat. Editions de l’ADREG.

Warnier V., Lecocq X., Demil B., « Le business model, un support à la créativité de l’entrepreneur », Entreprendre & Innover, 2016/1 (n° 28), p. 65-75. DOI : 10.3917/entin.028.0065. URL : https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-entreprendre-et-innover-2016-1-page-65.htm

Weill, P.; Woerner, S.L. Optimizing your digital business model. MIT Sloan Manag. Rev. 2013, 54, 71–78. [CrossRef]


CRÉDITS

Nous souhaitons remercier l’entreprise Agility Propreté pour l’accès au terrain ainsi que Mohamed Hassen, pour la CCI Nord-Isère, Frédéric Bellotti pour l’ENE, Bruno Barret pour l’Opco Propreté AKTO.

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